Liquidation de Brandt : quand tout un écosystème lâche en même temps

Liquidation de Brandt : quand tout un écosystème lâche en même temps

le 12 décembre 2025
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La liquidation judiciaire de Brandt le 11 décembre 2025 clôt l’histoire du dernier fabricant français de gros électroménager. Ce qui s’effondre, c’est un modèle industriel que personne, ni l’actionnaire, ni l’État, ni les distributeurs, ni le marché, ni les banques, n’a su ou n’a pu sauver. Brandt n’est pas seulement la victime d’un défaut de financement de dernière minute. Il est la victime d’un système entier qui n’a pas su maintenir les conditions permettant à une industrie lourde de rester compétitive en France.

Liquidation de Brandt : quand tout un écosystème lâche en même temps

Dans les raisons qui ont accéléré la chute de Brandt, il y a d’abord le contexte marché. Le repli depuis 2023 du marché français du gros électroménager a été un accélérateur pour un groupe en difficulté chronique depuis une dizaine d’années. Trois années consécutives de baisse, un immobilier gelé, des consommateurs en arbitrage prix permanent, et une poussée énorme des MDD low-cost. Dans ce contexte, conserver un outil industriel en France exigeait soit une croissance régulière, soit des prix premium. Brandt n’a eu ni l’un ni l’autre.

Cevital : une stratégie ambitieuse… mais jamais équilibrée

Les racines du mal qui rongeait Brandt étaient anciennes. Depuis 2014, l’actionnaire algérien qui avait repris l’industriel français suite à la liquidation de Fagor Brandt avait investi lourdement. Acquisition des marques, modernisation d’Orléans et Vendôme, lancement de la méga-usine de Sétif, développement de la R&D française. A l'époque, le modèle proposé par Cevital, à savoir celui d’une “colocalisation” France–Algérie avait du sens. L'idée était de concentrer la production du premium en France et de produire les volumes compétitifs en Algérie.

Mais plusieurs limites sont apparues. La montée en puissance des sites de production de Sétif a pris du retard. Les marges générées par les produits algériens n’ont jamais compensé les pertes françaises, le marché européen s’est retourné. Les coûts fixes des usines françaises sont restés très élevés. Cevital a soutenu Brandt pendant dix ans, mais continuer aurait signifié absorber seul un déficit devenu structurel, sans garantie de retour.

Brandt, De Dietrich, Sauter : un capital fort mais insuffisant

Le portefeuille de marques était l’un des derniers bastions du groupe. De Dietrich : la marque référente premium certifiée "Origine France Garantie", Sauter : la marque technique solide, Brandt : la marque ancrée dans l’imaginaire collectif et Vedette, la marque historique dans le lavage. Mais dans un marché où la valeur s’érode, la force symbolique d’une marque ne compense pas une base de coûts trop lourde, un marché atone, une concurrence import agressive et une absence de marge pour investir dans l’innovation ou la communication.

La distribution : un partenaire devenu arbitre du prix

Pendant que Brandt valorisait le “Made in France”, les distributeurs redessinaient leurs linéaires. Explosion des marques distributeurs, pression accrue sur les marges arrière, sélection plus dure des gammes premium, concurrence frontale de produits asiatiques ultra-compétitifs. Le modèle français, performant mais coûteux, devenait difficile à rentabiliser sur des linéaires tirés vers le bas. Le retail n’a pas “tué Brandt”, mais il a modifié les règles d'un jeu où Brandt ne pouvait plus gagner.

L’État et les collectivités : impliqués fortement, mais trop tard

L’État a proposé de mettre 5 millions d’euros sur la table, la Région et la Métropole près de 20 M€ cumulés (dont le rachat envisagé des usines, pour alléger des loyers de 2,7 M€/an) et les salariés, plus de 600 000 €. Mais cette mobilisation est arrivée quand la trésorerie ne couvrait plus que quelques jours de salaires. Sur le plan industriel, l’effort était réel. Sur le plan temporel, il est intervenu trop tard pour inverser une trajectoire financière déjà brisée.

Banques : le refus final qui a verrouillé le dossier

Lors de la dernière tentative de sauvetage (via une SCOP soutenue par l’État, la Métropole d’Orléans, la Région Centre-Val de Loire et les salariés) il n'a manqué qu’une pièce au puzzle : les banques. Elles ont dit non...

Ce refus n’est pas anecdotique. Les banques se sont pas des philanthropes. Pour elles cela signifiait que le modèle était jugé non rentable, que les risques étaient trop élevés, et qu’il était quasiment impossible de garantir le retour sur investissement. Et sans financement privé, aucune restructuration industrielle possible. Le tribunal a donc tranché.

Une responsabilité collective et structurelle

La liquidation de Brandt n’est pas donc pas l’échec d’un acteur isolé. C’est celui d’un écosystème entier. Un marché qui s’est retourné, un modèle industriel trop coûteux, un actionnaire qui a soutenu longtemps mais ne pouvait plus absorber les pertes, une distribution qui a changé de paradigme, des pouvoirs publics engagés mais trop tard,  des banques qui n’y croyaient plus. La triste liquidation de Brandt ne raconte pas seulement la fin d’une entreprise. Elle témoigne de la fragilité du "made in France" industriel lorsqu’il évolue dans un marché qui valorise de moins en moins ce qu’il en coûte de produire dans son propre pays. 

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