Les bonnes synergies sont celles qui ont du sens et qui fonctionnent
A l’occasion de sa première prise de parole depuis la naissance de Beko Europe, Véronique Denise, Présidente pour la France, s’exprime sur les synergies industrielles déployées par une entité qui dispose désormais de 10 usines en Europe. Elle donne également des exemples concrets d’autres développements accomplis en France en terme de transport, SAV, marketing, grâce à la collaboration des équipes Beko France et Europe Appliances. Enfin, elle analyse le contexte actuel du marché du gros électroménager et évoque les leviers et pistes concrètes à explorer tout au long de la chaîne de valeur, afin de réduire encore d’avantage l’empreinte carbone de l’entreprise et celle de ses clients.

Neomag. Il y a un peu plus d’un an, en avril 2024, suite à l’accord entre les groupes Beko et Whirlpool Corporation, naissait la nouvelle entité Beko Europe. Quel périmètre d’activité cela représente-t-il en 2025 sur le plan de l’industrie et du commerce ?
Véronique Denise. Aujourd’hui, le groupe Beko c’est 10,6 milliards de chiffre d’affaires, dont 50% est réalisé en Europe. L’accord avec Whirlpool a changé le périmètre de l’entreprise. De par son origine turque, Beko disposait d’une part de marché prépondérante et d’une position de leader incontesté dans le pays et également d’une présence forte au Moyen-Orient et en Asie. Cela a modifié l’organisation et les centres de décisions du groupe. Auparavant, tout était centralisé à partir de la Turquie. Aujourd’hui, nous disposons d’un siège régional pour l’Europe, basé en Italie, qui est l’ex-siège de Whirlpool. Cela induit de nombreux changements, tant sur le plan organisationnel que stratégique, et influence profondément notre manière d’aborder les marchés.
Sur le plan industriel, Beko Europe dispose désormais de 10 usines basées en Italie, en Roumanie et en Pologne. Fin 2024, deux usines ont été fermées en Pologne et certaines activités réduites en Italie où une usine sera également fermée fin 2025. Ces sites étaient très anciens et réalisaient peu de volumes. Cependant, un plan de 300 millions d’euros d’investissements a été annoncé pour l’ensemble des autres usines. Une part importante est dédiée à l’amélioration de leur performance environnementale. En Italie notamment, les sites industriels seront équipés de panneaux solaires afin de renforcer leur autonomie en production d’électricité renouvelable.
L’un des objectifs de notre plan stratégique est de permettre la fabrication de toutes nos marques dans l’ensemble de nos usines. À titre d’exemple, l’usine d’Ulmi en Roumanie — fleuron 4.0 du groupe Beko — produit désormais des appareils des marques Indesit et Whirlpool. A l’inverse, en Italie, l’usine de Melano (ex-Whirlpool) produit désormais des plaques à induction de marques Beko et celle de Cassinetta commence à sortir les premiers fours Beko. Dans cette usine historique, nous avons arrêté le froid pose-libre (l’intégrable est maintenu) mais l’activité R&D et design pour le « cooking » est devenue le pôle d’excellence mondial du groupe.
Sur le plan commercial, un appareil électroménager sur cinq vendu en Europe est issu de notre groupe. Aujourd’hui, nous sommes plus proches de nos marchés et nous réduisons les délais d’approvisionnements de nos clients.
Lors de la conclusion de l’accord, il était indiqué que la nouvelle entité devrait afficher un chiffre d’affaires combiné de plus de 6 milliards d’euros et devrait générer des synergies de coûts ? Cela a-t-il été accompli ? Comment ?
Atteindre 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires reste l’objectif fixé pour Beko Europe dans notre feuille de route, malgré un contexte de marché plus dégradé que prévu, 2025 marquant la quatrième année consécutive de recul. L’Italie et l’Espagne se portent plutôt bien, le marché anglais n’est pas mauvais, les marchés allemand et polonais sont un peu plus complexes. Et la France, qui est un gros marché, souffre énormément. A fin Juin le marché total du GEM (MDA8) était à - 4,6% (en valeur). Ceci, avec de fortes disparités. Sur la période, les marques étaient à - 8,4% et les MDD à + 7%. Les marchés sont difficiles, ajoutons à cela une géopolitique extérieure qui n’aide pas et une politique intérieure qui génère de l’incertitude et freine les investissements des ménages.
Nous espérons tous un second semestre plus favorable que le premier, et certains signaux sont encourageants : les soldes ont enregistré de bons résultats, et l’activité reprend dans l’immobilier ancien, avec une hausse des transactions.
Concernant les synergies, elles sont désormais en place, opérationnelles, et progressent rapidement. Il ne s’agit pas seulement de faire collaborer deux périmètres, mais bien de tirer le meilleur de chacun pour apporter des solutions efficaces à l’un comme à l’autre.
Le premier sujet prioritaire a été celui des synergies en matière de production, comme évoqué précédemment : permettre à chaque entité de bénéficier des meilleures plateformes produits de l’autre. D’autres sujets ont ensuite été traités, notamment l’organisation, les services, le SAV et la supply chain.
Concernant la France plus précisément, quelles sont les décisions stratégiques prises et les synergies mises en place depuis le rapprochement ?
Une nouvelle équipe de direction issue des 2 héritages a permis d’accélérer l’intégration des projets, renforçant la synergie et la collaboration entre les équipes. Une bonne synergie est une synergie qui a du sens et qui fonctionne. Ainsi, malgré le fait que nous soyons encore deux entreprises différentes, à savoir Europe Appliances d’un côté et Beko France de l’autre, et qui n’ont pas fusionné en termes juridiques, nous gérons le transport en commun depuis le 1er janvier. L’équipe locale transport ex-Whirlpool gère l’affrètement des camions Beko.
Autre exemple concret : en matière de SAV, Whirlpool France avait 23 techniciens en propre, Beko n’en avait pas. Depuis le 1er juillet, ces techniciens font de la réparation sur les appareils des marques Whirlpool, Hotpoint, Indesit et Beko. Nous allons continuer à étoffer notre équipe de réparateurs, avec pour objectif de monter à 27. Développer un SAV en propre pour une seule marque posait des questions de rentabilité, pour un portefeuille de marques, cela a du sens. Et les synergies vont se poursuivre.
Au 1er janvier 2026, ce sera l’entrepôt qui sera concerné. En résumé, toutes les synergies réalisables sans impacter négativement nos clients sont mises en œuvre. La fusion des systèmes ERP, toujours complexe, sera la dernière étape, prévue au plus tôt pour 2027. D’ici là, des passerelles seront mises en place entre les deux systèmes.
Vous avez effectué une partie de votre carrière professionnelle d’abord chez Whirlpool puis chez Beko depuis 2021. Sachant que la réussite d’une fusion est toujours délicate, cette connaissance est-elle un atout supplémentaire ?
Absolument. Sur le plan personnel, cette double connaissance m’a permis de gagner en rapidité dans la compréhension des enjeux. Lorsqu’on me parle d’un acronyme ou d’un terme spécifique, je sais immédiatement à quoi cela fait référence. Il y a des expressions différentes dans l’une et dans l’autre entreprise. Les avoir pratiqués permet immédiatement de faire le lien. Le plus complexe souvent dans une fusion, c’est la culture d’entreprise. Et là, nous avons deux entreprises avec deux cultures différentes certes, mais très complémentaires. Ce qui facilite également les choses, c’est la connaissance des personnes. Avec quelqu’un avec qui on a déjà travaillé, il est plus facile de retrouver les automatismes sans passer par une phase de découverte, ce qui simplifie grandement les échanges.
Enfin, en France, nous avons la chance d’avoir deux sièges sociaux qui sont distants d’à peine 10 kilomètres. Cela permet aux équipes de se rencontrer physiquement pour travailler ensemble, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres pays concernés par la fusion. Je rappelle que Beko Europe c’est aujourd’hui plus de 69 filiales.
Depuis quatre ans, le marché du gros électroménager est en recul. Des groupes industriels et des distributeurs sont en difficultés ? Estimez-vous que le gros électroménager traverse une crise conjoncturelle ou structurelle ? Comment-vous adaptez-vous ?
Durant des décennies, nous avons connu un marché du gros électroménager qui était relativement stable : + 2% les bonnes années, - 2% les moins bonnes. Avec le Covid tout a changé : suréquipement des foyers dans l’équipement de leur maison, déménagements en hausse… Et après cela les marchés ont accusé de forts reculs. Dans le gros électroménager et particulièrement l’encastrable mais aussi dans le meuble et la cuisine. Le taux d’épargne est actuellement très élevé, proche de 19%, mais nous savons que lorsque les Français vont se remettre à dépenser, nous en bénéficierons. Nous sommes ici dans le domaine du conjoncturel.
Ce qui est en revanche structurel, c’est la part respective des marques et des MDD. Je rappelle que la France est le seul marché du gros électroménager en Europe où les MDD font 40% du marché en volume. En Italie, par exemple, c’est 2% du marché… L’enjeu pour les marques, c’est de démontrer au consommateur en quoi elles lui apportent davantage de valeur que les MDD. L’éco-responsabilité, par exemple, est un levier différenciant essentiel.
Justement, Hakan Bulgurlu, CEO de Beko, est particulièrement engagé et actif sur ce terrain de l’éco-responsabilité et du rôle de l’électroménager comme vecteur de la neutralité climatique. En quoi cela est-il important pour vos équipes, vos distributeurs et pour les consommateurs ?
C’est d’abord un élément fondamental en lien avec nos valeurs individuelles : savoir que nous contribuons à un groupe engagé pour laisser une empreinte positive aux générations futures donne du sens à notre travail. Le leadership d’Hakan Bulgurlu insuffle une dynamique forte, en plaçant l’innovation responsable au cœur de la stratégie : matériaux recyclés, efficacité énergétique, réparabilité, économie circulaire… autant de leviers concrets portés avec conviction. Notre 17e rapport de développement durable, publié récemment, en est une démonstration tangible. Il montre comment la durabilité est intégrée à tous les niveaux de l’entreprise, avec des résultats mesurables, des engagements alignés sur les standards internationaux et une volonté constante de progresser. C’est aussi un véritable levier auprès de nos clients. Aujourd’hui, nous disposons d’une feuille de route Corporate très claire en matière d’éco-responsabilité. À nous de la décliner en un plan d’actions concret, à 360°, en collaboration avec nos distributeurs, et de le rendre visible aux yeux des consommateurs.
Il faut garder en tête qu’environ 50 % de l’empreinte carbone de nos partenaires distributeurs provient des produits qu’ils commercialisent. Demain, par exemple, en optimisant la logistique — comme la possibilité de regrouper les livraisons de nos quatre marques dans une même expédition depuis nos entrepôts — nous réduirons significativement le nombre de camions sur les routes. Il reste encore de nombreuses pistes concrètes à explorer tout au long de la chaîne de valeur pour réduire notre empreinte carbone ainsi que celle de nos clients.